De Minneapolis à San Antonio, que veulent les Américains?

Par Catherine Mommaerts

Edition: Nicolas Becquet

San Antonio au sud et Minneapolis au nord. Entre les deux, la I-35, l’une des principales dorsales autoroutières américaines qui s’étend sur plus de 2.000 kilomètres. C’est probablement le seul élément tangible qui rassemble ces deux villes aux visages contrastés.

L’Echo est allé à la rencontre de leurs habitants et de leurs histoires au moment où le pays se prépare à choisir qui de Donald Trump ou d’Hillary Clinton deviendra le 45e président des Etats-Unis.

San Antonio à la croisée des cultures

Ancien joyau des colonisateurs espagnols, San Antonio s’apprête à fêter son 300e anniversaire. Aujourd’hui encore, les vestiges de cet illustre passé européen et catholique se fondent dans l’environnement urbain. L’histoire mouvementée des relations avec le voisin mexicain est également omniprésente dans une ville qui sert dorénavant de point de passage à bien d'autres communautés hispaniques.

Wayne Jr De Winne

Wayne Jr De Winne, "Belge" et pro-Trump

Wayne Jr De Winne est l’un de ces nombreux descendants d’immigrés belges qui porte encore fièrement son nom flamand (ici, on dit "Dewinnie"). A San Antonio, ils sont plusieurs centaines à descendre de paysans flamands venus s’établir au Texas entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe. Et à faire perdurer certaines traditions bien chez nous. Saucisses, pape au riz au lait, gaufres, bière belge, danses folkloriques et jeu de boules flamandes, voilà par exemple les ingrédients de toute kermesse (dites "kermessie") qui se respecte au sud du Texas.

Et Wayne Jr, il en pense quoi de tout ça? "Je garde des super bons souvenirs de ces fêtes belges. Quand j’étais enfant, j’adorais ça", explique-t-il avec un grand sourire. Et maintenant? "Je veux que les traditions perdurent. J’aime bien emmener mes amis à ces fêtes pour qu’ils découvrent la culture belge", répond le jeune homme.

Mais Wayne Jr, il n’y a pas que le folklore belge qu’il aime. Sa passion, c’est la politique. Et c’est sûr, le 8 novembre, il votera pour Donald Trump. "Au début, je soutenais Ted Cruz car je trouvais que c’était le meilleur candidat. Mais maintenant, je suis persuadé que Trump est le meilleur. Il fera avancer les choses", explique Wayne Jr. Pour lui, il n’y a pas de doute, "Trump est prêt à tout, y compris à faire des compromis avec les démocrates pour obtenir des résultats".

Rick Hensley

Rick Hensley, chasseur de hackers

San Antonio s’est imposée ces dernières années comme une véritable pépinière d’entreprises high tech. Tout ce petit monde s’est concentré en plein centre-ville où il côtoie quelques entreprises déjà bien établies, attirées pour certaines par l’un des plus gros employeurs de la ville: l’armée américaine. Parmi ces sociétés: Endgame, un contractant de longue date du Pentagone spécialisé dans la lutte contre la cyber-criminalité.

Rick Hensley, vice-président de la division Service chez Endgame, et lui-même sorti des rangs de l’armée, le concède. "Si on a installé l’un de nos sièges à San Antonio, c’est pour être près de la base militaire de Lackland", explique-t-il. Lisez entre les lignes: et du centre de cryptologie de la NSA qui s’y trouve. L’objectif est double: pouvoir engager d’anciens militaires de la base et rester proche de l’un de ses gros clients même si la société a voulu se diversifier et vend désormais ses produits à des entreprises commerciales.

La chasse aux hackers, c’est ça son business. "Nous chassons les hackers grâce à un software qui, une fois installé, permet d’identifier les menaces et de les éliminer, même si elles n’ont pas encore pu se concrétiser", explique-t-il. Sa mine s’assombrit quand on lui demande s’il est satisfait de voir que la sécurité est au cœur de la campagne présidentielle. "Ni Hillary Clinton, ni Donald Trump ne parlent de cyber sécurité. A croire qu’ils estiment que ça n’aura pas d’impact dans les sondages", regrette notre chasseur de hackers.

Claris Cruz Hernandes

Claris Cruz Hernandes, réfugiée hondurienne pas encore légale

Le 21 septembre, Claris Cruz Hernandes et sa fille de 14 ans, Evelina, traversaient le Rio Grande, le long fleuve qui sert de frontière naturelle entre le Mexique et le Texas. Cueillies par la police des frontières, elles ont introduit une demande d’asile aux Etats-Unis. Claris et Evelyn viennent du Honduras. Elles font partie de cette nouvelle vague d’immigrés provenant essentiellement d’Amérique centrale et fuyant tant la pauvreté que la violence des gangs.

Ce qui a poussé Claris à l’exil, c’est le racket dont elle était victime depuis quelque temps. Son compagnon, venu tenter sa chance aux Etats-Unis avant elle, avait trouvé du boulot en Floride. Et il lui envoyait une partie de sa paie, de quoi aiguiser l’appétit des gangs. "J’en ai eu assez, j’ai alors décidé de rejoindre mon homme avec notre fille" , explique-t-elle. Leur fils de 12 ans, Franklin, est resté au pays avec son grand-père paternel.

Rencontrées alors qu’elle faisait une courte escale dans un refuge tenu par Raices, une ONG américaines spécialisée dans l’aide juridique aux immigrés, Claris et sa fille sont confiantes. Elles ont un billet d’avion pour la Floride où leur demande d’asile sera tranchée. Les plans de Claris si tout se passe bien? Rien de très compliqué: "Je veux travailler. Je suis prête à faire n’importe quoi du moment qu’il s’agit d’un boulot".

Minneapolis au coeur du "Sandersland"

Avec la ville jumelle St Paul, Minneapolis représente le deuxième pôle économique de la région des grands lacs, après Chicago. Si l’été indien se laisse encore savourer aux premiers jours d’octobre, l’hiver n’est plus très loin.

On s’active d’ailleurs sur les nombreux chantiers de la ville pour finir les travaux avant l’arrivée des premières grandes vagues de froid. C’est qu’ici, les hivers sont rudes. Pour preuve, les ponts couverts reliant les principaux bâtiments du centre-ville et permettant à ses habitants d’y circuler bien au chaud.

Malik Watkins

MaLLy, artiste engagé et optimiste

Malik Watkins, ou MaLLy, est un jeune artiste de hip hop bien connu de la scène de Minneapolis. Il travaille aujourd’hui à son troisième album, "Journey to a smile", une ode à l’optimisme dans un environnement racial plutôt tendu. "Je refuse de regarder les vidéos des noirs qui se font descendre par des policiers. Je lis, je me renseigne sur ce qui se passe. Mais regarder les images de quelqu’un en train de mourir ne changera rien à la situation", dit-il.

Ce qui ne veut pas dire que MaLLy n’est pas un artiste engagé. Son engagement, il le veut optimiste. Et il est bien conscient de l’importance qu’il y a à bien calibrer son message en tant qu’Afro-Américain. Même dans le hip hop, cela reste en effet compliqué pour un artiste noir de se faire entendre, ses fans étant bien souvent blancs.

"C’est amusant de voir que quand c’est un chanteur blanc qui dénonce les violences policières, les gens trouvent ça cool. Par contre, quand c’est un chanteur noir qui le fait, on lui dit: Oh non, pas encore. Arrête donc de te plaindre tout le temps". "Personnellement, je réfléchis à deux fois aux paroles que j’écris. Je ne veux offenser personne tout en restant fidèle à mes opinions".

Phillip Murphy

Phillip Murphy, fleuriste désabusé

Il est 14h et Phillip Murphy a l’air de sortir de son lit. La tignasse mal peignée, la barbe grise et l’œil éteint, il ouvre la porte de son magasin. Enfin, de ce qu’il en reste. Le fleuriste a fermé boutique en mai dernier et il a le moral en berne, comme les plantes qui meurent à petit feu dans sa serre. "Les clients ne venaient plus et j’en ai eu assez de la violence qu’il y a dans le quartier".

"On m’a cambriolé cinq fois. J’ai même une fois reçu un coup de couteau à la tête", explique-t-il en montrant une cicatrice au-dessus du front. "J’ai dû remplacer 11 vitres de ma vitrine car on avait tiré dessus", se lamente l’ancien fleuriste. En cause: les petites frappes du quartier, les gangs qui se tirent dessus à vue, indifférents aux potentielles victimes collatérales de ce quartier résidentiel où les enfants ne peuvent désormais plus jouer devant leur maison.

Ca fait trois ans que Phillip porte constamment un petit pistolet, un "38 special". Et en avril 2014, il a créé un compte Facebook –True North Minneapolis- sur lequel il relate tous les faits de violence dans les quartiers du nord de Minneapolis, photos d’impacts de balle à l’appuis.

"Je veux conscientiser les habitants du quartier sur ce qui se passe ici. Comme ça, ils peuvent décider en toute connaissance de cause de rester ou de partir". Partir, il en rêve. Il se voit faire pousser des orchidées à Hawaï. Mais pas tant qu’il n’aura pas vendu son magasin. Et ça, ce n’est visiblement pas gagné!

Manilan Houle

Les jeunes démocrates, mobilisés contre Trump

Pas toujours évident pour les activistes démocrates de Minneapolis de mobiliser leur base autour de la candidature d’Hillary Clinton. C’est qu’ici, beaucoup avaient voté pour son rival "socialiste", le sénateur du Vermont Bernie Sanders, lors des primaires.

Manilan Houle est membre des Jeunesse du parti démocrate-fermier-travailliste du Minnesota (DFL), le parti démocrate de l’Etat. Lui aussi soutenait Sanders, mais il se bat désormais pour Clinton. "Beaucoup de jeunes qui auraient préféré Sanders ne sont pas forcément enthousiasmés par la candidature de Clinton", constate le jeune-homme. "Mais, ils sont hyper motivés à l’idée de voter contre Donald Trump".

De là à ce que le vote aille à Clinton, il y a néanmoins encore de la marge. Deux autres candidats figureront sur les bulletins de vote: le libertarien Gary Johnson et, surtout, l’écologiste Jill Stein qui séduit pas mal dans ce coin du Minnesota.

Pour Conrad Zbikowski, le président des jeunes DFL, il faut avant tout éviter que les gens restent chez eux le 8 novembre, même s’il se veut confiant sur les (grandes) chance de Clinton de l’emporter. Mais son principal objectif est ailleurs: "On doit surtout récupérer la chambre des représentants de l’Etat du Minnesota". Une majorité de républicains y fait en effet de la résistance face au Sénat démocrate. Leurs sièges seront également en jeu le 8 novembre et les démocrates du Minnesota comptent bien les reprendre.

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