La crise des migrants en 25 questions

Chaque jour, des milliers de migrants tentent d’atteindre l’Europe occidentale. Pourquoi fuient-ils? Combien paient-ils? L’accueil organisé en Belgique est-il suffisant? Le flux va-t-il un jour se tarir? L’Echo a tenté d’apporter des réponses aux questions les plus criantes.

Par Harald Doornbos, Ine Renson et Nico Schoofs

Programmation: Raphael Cockx et Maarten Lambrechts

Quelles sont les routes vers l’Europe occidentale empruntées par les migrants / réfugiés?

Il existe deux routes principales : Turquie – Balkans – Allemagne et Libye – Italie – Allemagne. La partie maritime de la première route est plus courte et moins dangereuse – il faut compter entre une demi-heure et deux heures de navigation – mais pour la partie terrestre, il faut compter entre une et deux semaines. La deuxième route comprend une partie maritime très dangereuse – entre 6 et 12 heures – mais la suite du voyage ne dure qu’une journée. Durant les dix premiers mois de 2015, 3.329 migrants ont perdu la vie durant leur traversée de la mer Méditerranée, d’après les chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Quelle est la route la plus empruntée?

C’est la route qui démarre à l’ouest de la Turquie (dans les environs d’Izmir). La distance à parcourir en mer est relativement courte (entre 10 et 20 km) et sûre vers l’Europe et la zone Schengen (Grèce). Ensuite, les migrants passent par la Macédoine (qui ne fait pas partie de l’UE) pour entrer à nouveau en EU via la Croatie. En Slovénie, ils se retrouvent à nouveau en zone Schengen. Ils progressent ensuite vers l’Allemagne et les autres pays d’Europe occidentale. Depuis l’été, on compte en moyenne entre 5.000 et 8.000 personnes par jour sur cette route. Au total, près de 520.000 personnes ont emprunté cet itinéraire, la plupart au cours de la seconde partie de l’année.

La deuxième route commence en Libye. Elle se poursuit par une navigation de 300 kilomètres vers les îles italiennes, dont Lampedusa, qui est la plus proche. Le voyage entre la Libye et l’Italie est beaucoup plus long et dangereux que celui entre la Turquie et la Grèce. Mais si vous arrivez en Europe et en zone Schengen via l’Italie, vous pouvez continuer directement vers l’Allemagne, vu que tous les pays à traverser font partie de Schengen. 150.000 personnes environ ont emprunté cette route en 2015.

Quel est l’itinéraire le plus dangereux?

Sans hésitation, c’est la traversée entre la Libye et l’Italie. D’après les chiffres de l’UNHCR (Agence des Nations Unies pour les réfugiés), le nombre de personnes décédées par noyade se situerait entre 1.000 et 3.000. C’est particulièrement dangereux en hiver, à cause du vent.

La Composante marine de l’armée belge a repéré des migrants dans la mer Méditerranée, près de la Lybie.
Le Godetia, le navire de commandement et de soutien logistique de la Composante marine de l’armée belge, accoste à Trapani, en Sicile, avec plus de 400 migrants à son bord.

Entre la Turquie et la Grèce, on a dénombré cette année 123 décès par noyade. Malgré la courte distance, par mauvais temps, les vagues sont très hautes. On s’attend à ce que la route Libye-Italie soit moins utilisée durant la période hivernale, tandis que la traversée entre la Turquie et la Grèce continuera à attirer des candidats-réfugiés. Au cours des prochaines semaines, on s’attend à un nombre important de naufrages et de noyades.

Combien coûte le passage?

La route 1 (Turquie-Allemagne) coûte entre 1.200 et 3.500 euros par personne. Une partie couvre le prix de la traversée, le solde est dépensé en Europe pour la nourriture, les bus, les trains, les taxis... etc. Le prix dépend en grande partie du bateau. Plus le bateau est grand, plus le prix du trajet pour la Grèce est élevé. Pour 1.000 euros par personne, vous obtenez une petite place sur un zodiac. Dans ce cas, les réfugiés doivent souvent piloter eux-mêmes le hors-bord, car bien entendu, les passeurs ne prennent pas la mer. Une place sur un bateau de pêche peut rapidement monter à 2.000 euros. Vu la courte distance, les passeurs turcs utilisent parfois des jet-ski pour environ 2.300 euros par personne.

La route n°2 coûte entre 1.250 et 2.000 euros par personne. La partie maritime coûte environ 1.000 euros. Ensuite, le trajet terrestre à partir du sud de l’Italie s’effectue le plus souvent en train ou avec des chauffeurs de taxi arabes, qui, pour 700 euros, conduisent les migrants de la Sicile vers l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Suède.

Les autorités turques, grecques et italiennes essaient-elles de contenir le flux des réfugiés / migrants?

La réponse est trois fois non. A cause de leur grand nombre (souvent 8.000 personnes par jour font la traversée), le passage en fraude en Turquie ne se fait plus dans la clandestinité, mais au grand jour. On trouve des passeurs partout, pour la plupart turcs ou syriens. Les migrants et les réfugiés logent dans des hôtels à proximité d’Izmir jusqu’à ce que leur bateau soit prêt pour la traversée. C’est un business en or pour les hommes d’affaires locaux. Car tout le monde a besoin d’un lit, mais aussi de nourriture et de gilets de sauvetage. Tout cela se vend à prix d’or dans l’ouest de la Turquie. La police est parfaitement au courant mais ne réagit pas. De temps en temps, les garde-côtes turcs renvoient un bateau, mais cela ne change rien à la situation.

La Turquie n’est pas vraiment une amie de l’Occident. Si on veut être cynique, on peut dire que les Turcs se fichent complètement du chaos, des tensions et de l’instabilité politique provoqués par le flux de réfugiés au sein de l’Union Européenne. «C’est comme cela que fonctionne la politique», commente un journaliste turc. «Avec tous ces Syriens, Afghans etc. qui arrivent sur son territoire, l’Union Européenne panique et a besoin des Turcs pour trouver une solution. Cela renforce la position de la Turquie dans ses négociations avec l’Europe.»

Les autorités grecques sont tout aussi passives. Les réfugiés qui entrent dans les eaux territoriales grecques ne peuvent être renvoyés en Turquie, qu’ils soient Syriens, Pakistanais, Afghans ou Libanais. Après leur arrivée en Grèce, ils se font enregistrer et peuvent ensuite se rendre en Macédoine, en Serbie, en Croatie, en Slovénie, en Autriche et ensuite en Allemagne. Ce n’est qu’arrivés en Allemagne qu’ils font une demande d’asile. Les Syriens peuvent rester, mais les migrants dont le pays n’est pas en guerre (Albanais, Afghans, Pakistanais, etc.) sont considérés comme des réfugiés économiques et doivent quitter l’Allemagne. Dans la pratique, la plupart restent en Allemagne ou se rendent dans les pays limitrophes où ils font une deuxième tentative de demande d’asile.

Pour la Libye, le laxisme s’explique par l’absence d’autorité publique dans la partie occidentale du pays. Et la seule chose que font les Italiens, c’est les sortir de l’eau. Parfois, ils les enregistrent et les mettent dans un train en direction de l’Allemagne, dans l’espoir qu’ils quittent l’Italie aussi vite que possible.

Qui utilise quelle route?

Pratiquement tous ceux qui passent via la Turquie viennent du Moyen-Orient (Syrie, Irak, Liban, etc.) ou d’Asie du sud ou centrale (Pakistan, Bangladesh, Afghanistan, etc.). Quant aux Kosovars et aux Albanais qui viennent en Europe occidentale pour demander l’asile, ils ne passent bien entendu pas par la Turquie, mais rejoignent la route quelque part en Serbie ou en Croatie.

La deuxième route (Libye-Italie) est surtout empruntée par des migrants / réfugiés venant de pays d’Afrique comme l’Érythrée, l’Égypte, le Maroc et le Mali.

La traversée de la mer Méditerranée, filmée depuis un bateau.

Pourquoi la plupart des voyages commencent-ils en Turquie?

La plupart des résidents du monde arable n’ont pas besoin de visa pour entrer en Turquie. C’est le cas des Syriens, des Irakiens, des Libanais, et d’autres pays de la région. Les autres – comme par exemple les Pakistanais et les Bangladeshi – en obtiennent un très facilement. Par contre, la majorité d’entre eux ne pourraient jamais obtenir un visa pour la zone Schengen, c’est pourquoi, ils se rendent d’abord en Turquie, en avion ou en voiture. Ils gagnent ensuite la Grèce, en espérant pouvoir rester en Europe.

Les réfugiés sont-ils en sécurité dans les pays voisins de la Syrie comme la Turquie, le Liban, Israël, la Jordanie et l’Irak?

Globalement, oui, à l’exception de l’Irak.

Pour les réfugiés syriens, la Turquie est un pays sûr. Seule la partie orientale est soumise à de fortes tensions entre l’armée turque et le PKK. Mais pratiquement tous les réfugiés syriens évitent cette zone et passent par le sud du pays, via des villes sûres telles que Hatay, Gaziantep, Sanliurfa ou même Istanbul. Les réfugiés sont simplement interceptés par les autorités turques. Tout le territoire jordanien est sécurisé. Idem pour le Liban, à l’exception de la zone aux alentours de la ville d’Arsel, dans le nord-est du pays, à cause de la forte présence de Jabhat al Nusra (Al-Qaeda en Syrie) et qui a été partiellement isolée par l’armée libanaise. Le reste du Liban, soit 99% du territoire, est également sécurisé. Israël est voisin de la Syrie, mais les frontières entre les deux pays sont fermées, donc les réfugiés qui passent par Israël sont rares, voire inexistants.

L’autre pays voisin de la Syrie, l’Irak, est sous tension et les Syriens n’y cherchent pas refuge. Une partie de l’Irak (l’est et le centre) – qui est sous le contrôle de l’État islamique (EI) – est régulièrement bombardée par des avions de la coalition menée par les États-Unis. A cause des attaques aériennes, les Syriens évitent les territoires contrôlés par EI. La partie méridionale de l’Irak est surtout habitée par des Chiites, certains Syriens chiites s’y rendent, mais ce n’est qu’une minorité. Le nord de l’Irak est aux mains des Kurdes. Des villes comme Duhok, Erbil et Suleymania sont calmes. Non seulement des Kurdes irakiens et syriens, mais aussi des arabes irakiens y ont trouvé refuge.

Quel est l’accueil réservé aux Syriens en Turquie, au Liban et en Jordanie?

La majeure partie des réfugiés transitent par la Turquie. D’après les chiffres du HRC, il s’agit de plus de 2,1 millions de personnes. L’accueil en Turquie est correct. Chaque Syrien, après s’être enregistré, a droit à une place dans une tente et à deux repas par jour. Il reçoit des bons d’alimentation et des soins médicaux gratuits, mais pas d’argent. Il leur est impossible de travailler officiellement parce qu’ils n’ont pas le statut de réfugiés, mais un statut assez vague de « visiteur ». Parmi les 2 millions de Syriens actuellement en Turquie, seuls 250.000 vivent dans des campements. Les autres, 85% environ, ne veulent pas vivre dans des tentes et louent une chambre, un appartement ou une maison. Les Syriens payent eux-mêmes le loyer. Vu le nombre important de locataires syriens, les loyers ont beaucoup augmenté dans des villes comme Gaziantep et Kilis. La location d’un appartement pour une famille moyenne, coûte entre 100 et 400 euros par mois. Les appartements sont mis en location par des familles turques, qui ont ainsi trouvé une belle source de profits. Les réfugiés qui optent pour un appartement n’ont pas droit à des bons alimentaires ni à des repas gratuits, mais la gratuité des soins médicaux est maintenue.

En Jordanie (qui accueille 620.000 Syriens, d’après les chiffres du HCR), la situation est comparable à celle de la Turquie. Ici aussi, une minorité vit dans des camps, mais nombreux sont ceux qui louent des chambres et des appartements. La plupart de ceux qui vivent sous tente dépendent de l’aide des Nations Unies. Au Liban (1,1 million de Syriens selon le HCR), il n’y a pas de grands camps de réfugiés. Les gens louent un logement ou sont hébergés par de la famille ou des amis. Tout le monde s’inscrit auprès du HCR et chaque famille reçoit environ 100 dollars par mois.

Comment les Syriens arrivent-ils à financer eux-mêmes leur loyer ou le voyage vers l’Union Européenne?

Après plus de quatre ans de guerre, beaucoup de Syriens refugiés en Turquie, au Liban ou en Jordanie, ont épuisé leurs économies. Souvent, ceux qui habitaient jusqu’ici dans de petits appartements, ne peuvent plus payer le loyer. Et ils se retrouvent donc face à trois options. Soit rentrer en Syrie, soit s’inscrire dans un camp en Turquie (où ils reçoivent le gîte et le couvert), soit essayer de rejoindre l’Allemagne. Là-bas, ils sont logés gratuitement et reçoivent tous les mois quelques centaines d’euros. La décision est vite prise. De nombreux Syriens vendent tous les biens qu’il leur reste (maison, terrain, voiture) pour financer leur voyage vers l’Allemagne. Ces gens brûlent littéralement tous les ponts derrière eux. La plupart des Syriens interrogés nous disent: «J’espère ne jamais revenir. La Syrie est un vrai cauchemar.»

Comment est-il possible de vendre une maison ou une voiture en pleine guerre?

La Syrie a d’autres visages que celui que nous découvrons dans les médias, avec des maisons détruites. Certes, une partie du pays est en ruine, mais le reste du territoire est intact. On ne se bat pas partout. Sur 23 millions de Syriens, on en compte encore près de 17 millions dans leur pays. Même si c’est difficile, la vie continue malgré tout. On trouve donc encore des gens qui veulent s’acheter une voiture ou une maison. En temps de guerre, on peut certainement acheter une maison pour un prix modique. Mais cela reste malgré tout un pari. Si la situation se dégrade, il ne restera rien de l’investissement, mais si la paix revient, ils auront fait une bonne affaire.

Si les pays voisins sont sûrs, pourquoi les Syriens veulent-ils venir en Europe occidentale?

Il ressort de nos discussions avec des Syriens – pour être précis, dans le sud de la Turquie, à Istanbul et au Liban – qu’ils souhaitent en majorité se rendre en Allemagne, en Suède ou aux Pays-Bas, et dans certains cas en Belgique. Tous racontent plus ou moins la même histoire: «Nous voulons aller en Allemagne pour y construire un avenir, pour la qualité de ses services sociaux, parce qu’on y reçoit une allocation mensuelle et une maison. Aussi parce que – contrairement à la Turquie, la Jordanie ou le Liban – on peut obtenir un passeport d’Europe occidentale.» Et finalement, ils disent tous : «Si nous allons en Allemagne, c’est parce que c’est possible. L’Allemagne et l’Europe occidentale ont dit que nous étions les bienvenus».

Boot

Avons-nous encore suffisamment de places d’accueil?

La capacité d’accueil de la Belgique est normalement de 16.500 places. En juillet, nous avons activé, en urgence, 2.000 places tampon. Vu la constance du flux, nous avons encore créé 8.000 places supplémentaires, soit un total de 26.500 places disponibles dans 60 centres, qui hébergent environ deux tiers des réfugiés. Les autres sont répartis dans les communes et accueillis par les CPAS et les ONG.

Les 60 centres sont occupés à 98,5%. Mi-novembre, deux nouveaux sites seront ouverts à Weelde (500 places) et à Hechtel-Eksel (300 places). Au total, dans les semaines à venir, 4.581 places supplémentaires seront encore créées. Une partie sera sous-traitée à des sociétés privées.

Est-ce que ce sera suffisant pour passer l’hiver?

Non. Le Secrétaire d’État à l’asile et à l’immigration, Theo Francken (N-VA) doit tous les jours trouver de nouvelles places d’accueil. Fin octobre, il a décidé de créer 2.500 nouvelles places, en plus des 4.581 déjà prévues.

Fedasil se base sur plus de 5.000 arrivées par mois. Tous les mois, 1.600 à 1.700 personnes reçoivent un avis concernant leur statut. Ces personnes quittent les centres d’asile, et doivent rentrer chez eux ou trouver une autre solution via les CPAS. Il faut donc réellement créer 3.500 places par mois tant que le flux se maintient à ce rythme. Pour les 700 personnes qui vivent encore dans les campings des Ardennes, il faudra trouver une autre solution. Les campings fermeront leurs portes le 15 novembre.

A quelle vitesse ces nouvelles places peuvent-elles être créées?

Sur le plan budgétaire, il n’y a en principe aucun problème. Le budget nécessaire est provisionné jusqu’à la fin de l’année pour 10.500 places supplémentaires, soit au total 37.000 places. «Je pense que nous en aurons effectivement besoin», a déclaré le directeur de Fedasil.

Les lieux choisis doivent être opérationnels en quelques semaines. La Croix Rouge, qui gère les deux tiers des centres d’asile, arrive à suivre. «Si c’est nécessaire, nous pouvons être opérationnels en six jours.» explique An Luyten, porte-parole de la Croix Rouge de Flandre. Nous arrivons facilement à trouver du personnel. Sur les quatre «job days» organisés par la Croix Rouge, 2.000 personnes se sont présentées pour seulement 200 postes ouverts.

Les entreprises privées qui sont chargées du catering ou de la construction d’unités d’habitations mobiles, disent qu’elles peuvent répondre à la demande. Le timing est très serré pour réussir en dix jours à rendre opérationnelle une cuisine capable de fournir des repas pour 500 personnes, mais c’est possible, explique Serge De Kerft de Sodexo. Fedasil, qui exploite lui-même un tiers des centres d’accueil collectifs, estime que la situation est difficile. L’institution a demandé de l’aide à l’armée pour installer des blocs sanitaires, des cuisines et des lits de camp dans des anciennes casernes.

Le problème se situe surtout au niveau des communes. Si la machine a des ratés, c’est à ce niveau-là. Tous les services concernés disent qu’il y a encore beaucoup de bâtiments vides dans notre pays. Fedasil se tourne d’abord vers les domaines publics: sites militaires ou anciennes écoles ou maisons de repos. Mais la plupart des bourgmestres des lieux «visés» freinent des deux pieds.

La répartition des demandeurs d’asile est-elle équitable?

Pour les communes tenues de mettre sur pied un centre d’asile, ce n’est pas équitable. «Ceux qui ont une caserne sur leur territoire n’ont pas de chance», entend-on. Surtout la côte et le Limbourg, où se situent la plupart des domaines militaires, se sentent désavantagés. «Ce n’est pas un cadeau», explique Wouter Beke, président du CD&V et bourgmestre de Leopoldsburg. Cette semaine, une ancienne caserne, située pratiquement en face de la maison communale, sera transformée en centre d’accueil. «500 personnes viendront s’y installer. Cela représente 10% de la population. C’est beaucoup pour une aussi petite commune.»

D’après les gestionnaires des centres, les réactions de la population seraient relativement positives. D’un autre côté, «les gens se posent beaucoup de questions, ils ont peur.», explique Wouter Beke. «Que vont faire ces étrangers pendant toute la journée? Vont-ils se promener par groupes de vingt personnes dans ma rue le soir?» Pour l’instant, aucune attaque contre des centres n’est à déplorer comme celles auxquelles on a assisté en Allemagne.

Il semble que ce soit surtout les administrations communales qui redoutent de devoir assumer les coûts par la suite. «Une fois ici, ils resteront». Geert Depondt (CD&V), président du CPAS de Roulers, a la même réaction que de nombreux collègues. «Ils craignent qu’une fois que le statut de réfugié aura été accordé, les communes seront responsables d’organiser les cours de langue, de trouver des logements et d’assurer le suivi. Et ce, alors que la pression sur les logements sociaux et les cours de langues est déjà très élevée.» Dans ce cadre, le discours de la ministre flamande de tutelle Liesbeth Homans (N-VA) est peu rassurant, explique Depondt. «Son refus de faire des efforts supplémentaires, par exemple pour aider à trouver des logements, augmente le sentiment que tout reposera sur le dos des communes. De nombreux collègues ont peur de subir des dommages politiques s’ils sont trop accueillants avec les demandeurs d’asile.»

Pour Fanny François de Fedasil, l’argument budgétaire semble assez spécieux. «Le gouvernement fédéral intervient dans les frais d’intégration jusqu’à cinq ans après la reconnaissance du statut. Disons plutôt que ces communes préfèrent ne pas recevoir ces personnes sur leur territoire

Faut-il obliger les villes et communes à accueillir des réfugiés?

C’est probablement ce qui va arriver. Les casernes sont pratiquement toutes occupées. Theo Francken demande la création de places sur base volontaire. Si les résultats ne sont pas suffisants, il est fort probable que l’on imposera une répartition des réfugiés sur le territoire. Ce plan s’est déjà retrouvé à plusieurs reprises sur la table des négociations, mais n’a pas encore été approuvé par le Conseil des Ministres.

«Qu’est-ce qu’on attend pour le rendre obligatoire?» se demande Francky Demon, parlementaire CD&V et échevin à Bruges. «Dans ce cas au moins, la charge sera répartie équitablement. Donnez-nous quelques centaines de réfugiés, et nous les hébergerons. Pour l’instant, c’est géré au petit bonheur la chance. On concentre trop de personnes dans de grands centres improvisés, et souvent dans des petites communes dont les ressources sont limitées.»

«Si chacune des 589 communes belges accepte de participer, nous y arriverons facilement» renchérit Geert Depondt à Roulers. «Nous avons décidé d’aller de l’avant, et nous avons créé 40 places supplémentaires en plus des 120 dont notre CPAS disposait déjà. 166 personnes dans une commune comme la nôtre : où est le problème? Dans tous les cas, ce n’est pas une attaque-surprise. Nous menons une campagne positive avec le slogan ‘Roulers aide’. Il faut l’expliquer aux citoyens.»

Est-ce que personne ne se rend en Allemagne et en Europe occidentale à cause de la liberté et de la démocratie?

Si la plupart voient la démocratie et la liberté comme une bonne chose, ce n’est certainement pas la raison principale qui les pousse à aller en Allemagne. Dans toutes les discussions avec des Syriens, il s’agit de raisons économiques, pas politiques. Voilà pourquoi aucun Syrien ne souhaite rejoindre l’Italie ou l’Espagne, qui sont des pays libres, mais où la sécurité sociale pour les réfugiés et les migrants est moins généreuse.

Un grand nombre de Syriens soulignent avoir très peur des normes et des valeurs occidentales. On entend souvent dire : «Que faire si ma fille veut porter des minijupes, ou si mes enfants se droguent?» Des Syriens nous disent qu’ils craignent que leurs femmes ne doivent enlever leur foulard ou qu’elles deviennent «infidèles». Certains Syriens s’inquiètent également de l’islamophobie que l’on rencontre en Europe occidentale. Presque tous disent qu’ils s’adapteront au mode de vie occidental, mais qu’ils ont peur d’une assimilation forcée.

Mais s’agit-il dans ce cas de réfugiés ou de migrants?

C’est une question de définition. Si un réfugié est une personne qui quitte son pays à cause de la guerre ou des persécutions, alors tous les Syriens sont des réfugiés. Mais vu que de nombreux Syriens vivent déjà dans les pays voisins avant de gagner l’Europe, beaucoup estiment qu’il s’agit de migrants économiques. Le fait que les Syriens traversent sept pays sûrs, mais plus pauvres, avant d’arriver en Allemagne – le pays le plus riche, avec la sécurité sociale la plus développée – pour y demander l’asile, est pour beaucoup un signe évident qu’il ne s’agit pas de réfugiés au sens premier du terme. Pour les personnes venant du Bangladesh, du Pakistan, de l’Albanie ou du Kosovo, c’est encore plus manifeste, puisque ces pays ne sont pas en guerre.

Pourquoi les riches pays du Golfe n’accueillent-ils pas de réfugiés?

En fait, dans le monde entier, seule l’Europe occidentale considère que la migration de masse des Syriens est une solution pour soulager la misère dans cette région. Le reste du monde, y compris les pays du Golfe, considère de tels déplacements de population comme une idée dangereuse. Étant donné que les réfugiés syriens sont en sécurité dans les pays voisins de la Syrie, les pays du Golfe estiment qu’ils feraient mieux d’y rester. Car lorsque la guerre sera finie, ils pourront facilement rentrer chez eux et participer à la reconstruction de leur pays. Mais si les Syriens sont accueillis, par exemple, par les riches pays occidentaux, l’Amérique ou les États du Golfe, la probabilité qu’ils rentrent un jour dans leur pays est nulle, même après la fin de la guerre.

Une autre raison avancée par les pays du Golfe, c’est leur faible population, souvent à peine quelques millions d’habitants. Ainsi, les Émirats Arabes Unis ne comptent que 1,4 million d’autochtones. 150.000 réfugiés syriens, c’est 10% de la population. Cela n’enchante pas les pays du Golfe.

De plus, le Golfe persique doit faire face à ses propres problèmes. Il y a la guerre et les tensions au Yémen. L’État islamique lorgne sur l’Arabie Saoudite et déploie régulièrement ses cellules terroristes, avec des attaques de plus en plus fréquentes. Ce n’est donc pas le moment d’accueillir des Syriens, estiment les pays du Golfe.

Par ailleurs, les Syriens ne se sentent pas attirés par ces pays. C’est cher, il n’y a pas de sécurité sociale pour les visiteurs, et la nationalité locale n’est pratiquement jamais accordée aux étrangers. Beaucoup de Syriens qui travaillaient dans le Golfe, ont malgré tout cherché refuge en Turquie pour se rendre ensuite en Allemagne et y demander l’asile. Si vous leur demandez pourquoi ils abandonnent un emploi de qualité dans la riche Dubaï en échange d’une place dans un centre pour réfugiés en Allemagne, ils vous répondent : «Après cinq ans, vous pouvez espérer avoir un passeport allemand, alors qu’à Dubaï, nous devons chaque année, comme des mendiants, leur demander qu’ils renouvellent notre visa.»

Les réfugiés / migrants se rendent-ils coupables de fraude?

Oui et non. La plupart d’entre eux voyagent sous leur véritable nom avec leurs papiers d’identité officiels. Mais beaucoup de Libanais, Palestiniens et Tunisiens se font passer pour des Syriens. C’est logique, car être syrien est une condition indispensable pour bénéficier de l’asile. Selon les autorités allemandes, près de 30% des demandeurs déclarent une fausse nationalité. Beaucoup de ces gens ont détruit leurs papiers, il est donc extrêmement difficile de déterminer leur pays d’origine.

Certains non-Syriens vont d’abord en Turquie et se procurent de faux papiers. Ainsi les Marocains et les Tunisiens se rendent dans le sud de la Turquie pour acheter un faux passeport. Cela coûte environ 700 dollars (une fausse carte d’identité syrienne coûte 50 dollars, un faux permis de conduire syrien, 100 dollars) et lorsqu’ils arrivent en Grèce, ils se font passer pour des Syriens. Dans le chaos des 8.000 arrivées quotidiennes, personne ne vérifie si les papiers d’identité sont vrais ou faux.

Qu’en pense-t-on au Moyen Orient?

Les avis sont partagés. Une partie de la population trouve que c’est une bonne chose et une opportunité pour recommencer une vie meilleure en Allemagne. D’autres sont moins positifs. Beaucoup de Kurdes quittent leur pays et les leaders kurdes mettent en garde contre un véritable exode qui viderait le pays de ses habitants. Dans la ville syrienne d’Afrin, où le parti de gauche kurde YPG est au pouvoir, il est interdit d’émigrer. «L’exode est massif», explique un politicien kurde en colère. «Tous nos jeunes partent en Allemagne parce qu’ils peuvent y gagner quelques centaines d’euros par mois en faisant la vaisselle ou le ménage. Si nous ne réussissons pas à créer un Kurdistan indépendant, ils partiront, non pas à cause de la Turquie, mais surtout suite à l’appel de Merkel.»

Reddingsvesten

Pourquoi le nombre de réfugiés / migrants a-t-il pris de telles proportions depuis l’été 2015?

En septembre, Merkel les a indirectement invités en Allemagne avec son message «Wir schaffen das» (Nous pouvons y arriver). Pour comprendre cet afflux soudain, il faut remonter en 2014, au moment où le flux de migrants / réfugiés, essentiellement des Syriens, a pris le chemin de l’Europe. A cette époque, presque tous les migrants empruntaient les routes Turquie-Italie-Allemagne et Libye-Italie-Allemagne. Seule une minorité suivait la route Turquie-Grèce-Balkans-Allemagne.

Les raisons sont simples. A cause des Accords de Schengen, les Syriens voulaient arriver en Italie, pas en Grèce. Car s’ils réussissaient à atteindre l’Italie, ils pouvaient rejoindre l’Allemagne en à peine une demi-journée en train ou en voiture, sans aucun contrôle douanier. Autre avantage : volontairement, les autorités italiennes n’enregistraient quasi personne. Les réfugiés/ migrants pouvaient donc faire leur première demande d’asile en Allemagne. Il n’existait pas de preuve attestant qu’ils s’étaient d’abord présentés en Italie. Résultat : l’Allemagne ne pouvait pas les renvoyer en Italie. Car selon le «Système Dublin», les réfugiés doivent introduire leur demande d’asile dans leur pays d’arrivée en Europe.

En 2014, la Grèce n’était généralement pas reconnue comme pays d’entrée dans l’UE. Car si la Grèce fait partie de la zone Schengen, elle ne partage aucune frontière avec les autres pays de la zone. Cela implique donc un long voyage à travers les Balkans. Ceux qui réussissaient à arriver en Allemagne après un très long périple, risquaient d’être renvoyés en Grèce, étant donné que c’était le premier pays d’arrivée dans l’UE, et qu’ils s’y étaient enregistrés.

Mais la route entre la Turquie et l’Italie est loin d’être idéale, avec un trajet maritime de plus de 2.100 km (!), soit plus d’une semaine de navigation. Seuls les gros navires – bateaux de pêche ou tankers vides – étaient donc loués par les passeurs. Chaque bateau transportait entre 200 et 700 personnes. Quand un bateau chavirait, cela provoquait directement de 500 à 600 décès. Et les coûts étaient énormes. Une place à bord coûtait environ 6.000 dollars par personne. Seule une minorité de Syriens pouvait se le permettre.

Au cours de l’hiver 2014-2015, à cause du mauvais temps et des tempêtes, il est devenu pratiquement impossible de faire la traversée entre la Turquie et l’Italie. Les gens ont donc cherché des routes alternatives. Malgré un long trajet terrestre, la route Turquie-Grèce-Balkans-Allemagne s’est popularisée. La distance de navigation n’est que de 20 kilomètres (pour les quelques îles grecques qui se trouvent juste en face de la côte turque, comme Kos ou Lesbos), contre 2.100 km. Cette distance peut être parcourue même en hiver et au printemps de manière relativement sûre. Et la traversée est beaucoup moins coûteuse, car plus courte : 1.000 à 3.000 dollars contre 6.000 dollars par personne. Ce nouvel itinéraire pour l’Allemagne est tout d’un coup devenu plus accessible pour de nombreuses personnes.

On a rapidement pu lire sur Facebook de nombreux récits enthousiastes relatant le faible coût et le côté relativement peu dangereux de cette route. Cette nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre. Et pas uniquement parmi les Syriens, mais aussi parmi les Irakiens, Libanais, Afghans, Bangladeshi, etc. Des cartes détaillées ont également été publiées sur Facebook, avec des explications sur les lieux où il était possible de passer la frontière entre la Serbie et la Hongrie sans être pris. Avec un GPS ou un iPhone, il est désormais impossible de se perdre.

Le 10 septembre, lors d’une interview accordée au quotidien allemand Rheinische Post, la chancelière allemande Angela Merkel a déclaré: «Il n’y a pas de limite au droit fondamental à l’asile pour les réfugiés persécutés ou confrontés à une guerre civile dans leur pays.» C’est bien entendu là que se situe la brèche. De nombreux résidents du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique ont considéré ce message comme une invitation directe. La nouvelle s’est une fois de plus répandue sur Facebook à la vitesse de l’éclair. De plus en plus de personnes ont pris la route. C’était maintenant ou jamais. La Grèce, la Macédoine, la Serbie, la Croatie, et plus tard la Slovénie et l’Autriche ont ouvert leurs frontières. Le Système Dublin n’est plus respecté. On laisse passer tout le monde. Les migrants et les réfugiés peuvent se retrouver en quelques jours dans leur pays de destination – l’Autriche, les Pays-Bas, la Suède, la Belgique, et bien entendu l’Allemagne – en passant par des pays de transit comme la Turquie , la Grèce, la Macédoine, la Serbie, la Croatie et la Slovénie. Tout cela, bien entendu, jusqu’à ce que ces frontières se referment.

A ce jour, on a dénombré un total de 520.000 personnes ayant emprunté la route des Balkans. Quelque 6.000 candidats à l’asile débarquent chaque jour en Grèce, en provenance de la Turquie. En 2015, 150.000 personnes sont arrivées en Italie via la Libye. Près de 90% de ces candidats réfugiés demandent l’asile en Allemagne.

Le flux de migrants/réfugiés devrait-il rapidement se tarir?

Oui et non. A cause du mauvais temps, le flux devrait quelque peu se réduire. Beaucoup n’oseront pas prendre le bateau pour l’Italie ou la Grèce. Mais la distance entre la Turquie et la Grèce est si petite que même pendant l’hiver, il est possible de faire la traversée lorsqu’il n’y a pas de vent. On craint cependant que beaucoup de personnes se noient pendant l’hiver.

Ceci dit, à court terme, le nombre de personnes qui essaieront de gagner l’Europe occidentale ne diminuera pas. Le flux actuel de migrants/réfugiés est surtout alimenté par ceux qui se trouvent déjà en Turquie. Quelle que soit la situation en Syrie, ces personnes continueront à tenter de se rendre en Europe. De nombreux candidats à l’immigration ont déjà vendu tous leurs biens. Rester en Turquie leur coûte de l’argent. Ils n’ont qu’une idée en tête : l’Allemagne. Presque chaque Syrien à qui vous parlez, en Syrie ou dans un pays voisin, veut partir. C’est un véritable exode qui prend des proportions inimaginables.

Actuellement, les Syriens sont loin d’être les seuls à tenter de rejoindre l’Allemagne en passant par la Turquie et la Grèce. L’évolution du conflit syrien n’a aucune influence sur le comportement des Afghans, des Libanais, des Palestiniens, des Bangladeshi et des Pakistanais qui continuent à arriver en grand nombre en Turquie pour traverser vers la Grèce.

Par ailleurs, avec l’aide de la Russie, l’offensive du gouvernement syrien dans la région d’Alep et de Hama, a exacerbé les tensions sur place. Les lignes de front sont mouvantes et se traduisent souvent par un nouvel afflux de réfugiés. Si les forces gouvernementales syriennes réussissent à reconquérir de vastes zones de territoire, une partie des habitants fuiront vers la Turquie toute proche. Ces nouveaux migrants auront alors le choix : soit rester, peut-être des années, dans un camp en Turquie avec deux repas par jour, soit trouver 2.000 euros et tenter l’aventure en Europe occidentale. Tant que la porte vers l’UE restera ouverte, la décision ne sera pas difficile à prendre.

Combien de migrants devraient encore affluer en Belgique?

C’est difficile à dire. Les autorités fédérales en charge de l’asile se basent sur le nombre des nouveaux arrivants en Grèce et en Italie. «Les années précédentes, le flux s’est réduit pendant les mois d’hiver, mais cette fois, cela ne sera pas le cas», explique Fanny François, directeur du soutien de la gestion chez Fedasil. «La seule chose que nous pouvons dire avec certitude, c’est que le nombre de nouveaux arrivants ne va pas continuer à augmenter. Quoique. La semaine dernière en Grèce, un nombre record de personnes ont été rejetées sur le rivage. Si rien ne change, plus de 5.000 réfugiés devraient arriver chaque mois dans notre pays.»